Missions d'automne
Dochambé 16 aqrab 1384 (7 novembre 2005), tous les jours les deux semaines passées, j'ai demandé à Khalil, le directeur du RSU, quand les travaux y seraient enfin terminés, afin que je puisse y envoyer l'équipe de tournage - nous voulons que notre video montre le service sous son meilleur jour, en pleine activité dans ses nouvelles installations, bien sûr ! Tous les jours il m'a assuré que ce serait terminé sous 48 heures. Mais depuis trois jours, la réponse est différente : "C'est prêt ! Nous avons repris les consultations, mais il n'y a pas d'opérations parce que les patients ne veulent pas se faire hospitaliser pendant les fêtes..." Alors ce matin, quand Khalil m'annonce que les opérations reprennent le lendemain, j'ose à peine prévenir Jamshid, de peur qu'il ne me dise que c'est trop tard, hors délai pour le montage de la vidéo. Mais non, à son habitude Jamshid me répond : "No problem, I'll meet you there tomorrow at nine..." Ouf...
À la maison, nous accueillons encore de nouveaux locataires : Simone est une infirmière de chirurgie qui vient régulièrement chaque année depuis quinze ans en mission de contrôle et de soutien à l'organisation ; Nicolas et Jérôme sont fraîchement émoulus d'une école de cinéma et viennent tourner un film sur MRCA, en guise de projet de fin d'études. Comme ils n'ont de place pour dormir que sur des touchaks dans le salon, ce soir la maison commence à ressembler à une colonie de vacances.
Et la première chose qu'Anne-Marie a demandé en arrivant, c'est qu'on installe les poêles dans la maison ! Tout le monde se serre comme des oisillons autour de celui qui trône maintenant dans le salon...
Séchambé 17 aqrab 1384 (8 novembre 2005), sept heures trente, je reçois un coup de fil de Jamshid pour signaler que tout bien pesé le montage de la vidéo est finalisé et ne pourra pas accueillir de nouvelles images... Donc, pas de prise de vues au RSU. C'est une déception, mais la faute nous revient... à moins que ce ne soit qu'une de plus des défections inopinées de Jamshid, dont il nous ferait porter la responsabilité...
Je prends donc le temps de préparer les quelque deux cents invitations qui vont être distribuées à la main dans tout Kaboul (rappelez-vous, pas de service postal, pas d'adresse... seulement des chauffeurs ou des fonctionnaires qui connaissent toute la ville...) C'est Shukoor qui se charge de la majorité des livraisons, et je vois sa mine s'allonger à chaque fois que je rajoute des enveloppes sur le tas qui lui est destiné...
Et puis, avec Anne-Marie, nous nous sommes livrées à un exercice très délicat, celui qui consiste à faire les listes des salariés - anciens ou actuels - de MRCA qui vont être honorés de différentes façons durant notre cérémonie du seize (20 diplômes pour vingt années...) ou en faisant partie du petit groupe (une cinquantaine) qui sera reçu à l'ambassade à l'heure du déjeuner le même jour.
Tchahr-chambé 18 aqrab 1384 (9 novembre 2005), Jamshid et Prasant sont venus présenter l'avancement de leur travail. Anne-Marie et Jean-Marie lisent le texte prévu pour la narration : "C'est du pur Bollywood !" Le projet ne nous épargne pas les plans de guerre et le lyrisme de l'action humanitaire... ni quelques erreurs de fond sur la réalité. A une semaine de la projection, il va falloir reprendre pas mal de choses... Et vu l'état d'avancement (pas de son encore, des trous dans l'image, le texte à reprendre), j'insiste lourdement pour que nos oiseaux viennent demain filmer la cérémonie d'inauguration du RSU nouveau... Ce sera moins pertinent qu'une vue de la nouvelle salle d'opération, mais au moins on verra que ça évolue...!
À l'heure du déjeuner, je reçois un appel ...du professeur Fazelly, arrivé à Kaboul depuis deux jours pour le résultat des élections parlementaires, qu'il suit avec attention.
Le soir, je trouve dans ma chambre le poêle à mazout que Sabeq vient d'y installer. C'est un cylindre en ferraille, de soixante centimètre de haut et trente de diamètre, dont le brûleur est un simple tuyau presqu'horizontal qui amène par gravitation en son centre un filet de fuel, qu'on règle à l'extérieur au goutte à goutte par un petit robinet puisant dans un réservoir à remplir au bidon. C'est très rudimentaire, parfaitement efficace et probablement très bon marché.
Pandj-chambé 19 aqrab 1384 (10 novembre 2005), il pleut ! Pas les petites averses du printemps dernier, pas les orages de l'été dernier... une pluie froide, fine et régulière qui s'est installée pendant la nuit. En me réveillant j'entendais couler la gouttière et croyais qu'une fois de plus le flotteur de la citerne faisait de la brasse coulée... Et puis je me rendis compte qu'il était déjà six heures, heure à laquelle il fait jour habituellement. Nuages bas, ciel plombé, les gouttes font des ronds serrés dans les flaques de boue, on se croirait ...en novembre ! Par contre, le temps s'est radouci d'une dizaine de degrés.
Tout bien pesé, je laisse l'équipe partir au RSU pour profiter du calme et faire avancer les mille et une choses à terminer d'ici le 16... Par contre ce soir, j'ai bien l'intention d'aller à la réception de l'ambassade, à l'occasion de l'inauguration du service de chirurgie de l'hôpital "Mère et Enfant", qu'on appelle ici "l'hôpital de Bernadette... !"
Djouma 20 aqrab 1384 (11 novembre 2005), le temps s'est éclairci, nous pouvons aller faire un tour à Istalif, le village de potier qu'on trouve au pied des montagnes, dans la plaine de Chamali. Le paysage est paré de ses couleurs d'automne. Tout là-haut, c'est blanc de la neige de la veille.

Jérôme, caméraman émérite
   Jérôme, caméraman émérite
Chambé 21 aqrab 1384 (12 novembre 2005), le temps se resserre avec l'approche des festivités. Aujourd'hui, j'avais décidé de passer la journée à travailler au bureau. Mais je me suis retrouvée coincée au volant de la voiture, au beau milieu d'un gigansteque embouteillage provoqué par le déplacement d'Hamid Karzaï de son palais - en plein coeur de la ville - à l'hôtel Intercontinental - à deux pas de notre guest house. La toute nouvelle garde personnelle d'HK semblait débordée par la difficulté de l'exercice, et l'ensemble du trajet a été interdit à la circulation pendant trois heures.
J'ai aussi passé une partie de la journée à produire la version française de la narration qui accompagne les images de la vidéo : j'ai dû adapter un script lyrique façon Bollywood (je vous rappelle que le réalisateur est indien) en un texte à peu près écoutable à nos oreilles occidentales...
Yakchambé 22 aqrab 1384 (13 novembre 2005), c'est Jean-Marie qui aurait dû faire la voix française. Depuis trois jours il est aphone pour cause de rhume carabiné, aussi c'est Jérôme qui a prêté sa voix d'Adonis à la saga de MRCA. Prasant regrettait que nous ne puissions l'enregistrer en Inde ("very professional, there"), mais nous aussi, car le soi-disant studio était un bureau aveugle au bord d'une avenue, où quand ce n'était ni les avions, ni les camions, on entendait les bavardages des techniciens derrière la vitre...!
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