Kaboul, semaine 8 | |
Lundi 27 juin 2005, 6 saratan 2005, je devais interviewer à quatorze heures le directeur du département français à la fac',
M. Habibullah. Gérard Turmo m'avait dit : "C'est un 'carré', il a sûrement des choses à dire sur l'égalité".
Le soir, Palwasha est venue prendre le thé avec nous en sortant du bureau... Amélie, elle et moi décidons ensuite d'aller dîner à la 'Taverne du Liban', ce restaurant libanais que j'avais découvert dès mon arrivé. Amélie conduit, bien sûr, et comme il fait nuit ça se remarque moins... mais quand nous arrivons au restaurant, il archi-comble... de coopérants internationaux... tous des hommes sauf une... on se demande où sont passées les femmes qui pourtant coopèrent aussi... Serait-ce que la culture locale déteindrait...? que ces mâles y trouveraient un certain plaisir, comme une revanche ou une revendication refoulée, mais qui s'affirme ce soir aussi nettement ? Les serveurs s'empressent néanmoins de nous préparer une table bien située, sur la pelouse. Et après nos dégustations, alors que nous pensions à partir, le maître d'hôtel s'approche de Palwasha pour annoncer que la maison nous offrira le dessert ! Un hommage à notre petit groupe de femmes, et peut-être aussi à la visite d'une afghane en chair et en os dans ces lieux du double apartheid bien pensant de la reconstruction... |
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Mardi 28 juin 2005, 7 saratan 2005. Interview avec Nour Khanum, une solide médecin pachtoune qui travaille pour Terre des Hommes.
Elle explique qu'elle n'aurait jamais voulu se marier, pour pouvoir exercer librement son métier... et puis sa famille l'a forcée à
accepter un mariage avec un médecin... Elle a réussi à faire partager ses vues à son mari, puis à se concilier le respect
de sa belle-famille, qui au début la considérait comme moins que rien parce qu'elle ne faisait pas la lessive et la cuisine comme ses autres belles-soeurs...
(Vous aurez compris sans doute qu'un jeune couple habite dans la maison des parents du mari, avec tous les autres fils et belles-filles, et les filles non encore mariées.)
Aujourd'hui elle se déclare chanceuse, se félicite d'avoir pu faire changer un peu sa belle-famille : "Changes about equality
have come for me before the constitution !"
Quand je lui montre la photo des trois enfants de Gardez - le frontispice de ce blog - Nour Khanum dit qu'elle-même était justement à l'école à Gardez à cette époque... Elle se propose de l'afficher là-bas, et si quelqu'un réagit, elle me préviendra... C'est pour moi comme si une sorte de mythe était en train de se matérialiser ! Et puis, j'ai enfin compris pourquoi le quartier de la banque - où se trouvent également les guichets d'Ariana - est entièrement maginotisé... les plantons y gardent l'oeil fixé sur la ligne verte des vagues terroristes qui ont pour cible l'ambassade américaine ici retranchée, laquelle entretient une relation quasiment incestueuse avec le palais présidentiel qui lui est mitoyen... |
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Mercredi 29 juin 2005, 8 saratan 1384, onze heures trois minutes, je contacte au téléphone André Giannechini, le conseiller technique de l'ambassade
chargé de l'assistance au Parlement (pour laquelle la France est la nation pilote). Nous avions convenu précédemment de nous voir pour organiser
pour moi des entretiens avec les fonctionnaires qui sont actuellement en cours de formation pour l'ouverture de la première session parlementaire après les élections.
"Vous pouvez être à onze heures à l'ambassade ?", me dit-il au milieu d'un vacarme qui sonne comme venant d'une voiture en pleine rue... et probablement
sans avoir regardé sa montre ;) Je lui répond de même : "Pas de problème, j'y serai !" Ce n'est pas un problème, en effet...
Ici, ce qui compte, c'est l'intention de l'instant, à saisir quand elle se présente, parce que tout projet soigneusement planifié avec les
meilleures intentions et la plus grande conviction est soumis aux innombrables aléas, non seulement matériels, mais aussi ceux de l'humeur et de l'opportunité...
L'idée était donc de se voir au plus vite... ce qui fut fait, et notre conversation fut des plus intéressantes, d'ailleurs.
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Jeudi 30 juin 2005 (9 saratan 1384) et vendredi 1er juillet 2005 (10 saratan 1384), journées studieuses - je mets au propre mes entretiens jusqu'à maintenant
(j'ai beaucoup de retard à rattraper...), dans une chaleur qui a repris ses droits après la petite pluie de la veille...
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Samedi 2 juillet 2005 (11 saratan 1384), deuxième jour du week-end kabouli... Les occupants de la maison se réveillent sur une sorte de folie créatrice inspirée
par le coup de bambou du soleil sur nos nuques d'aspirants au farniente... Sortent les crayons pour dessiner, à l'intention de Choukour, logisticien averti, un projet
d'auvent en canisses qui pourrait nous ménager quelques heures de tranquillité méridienne dehors... et néanmoins à l'ombre, bien sûr !
Je suis pourtant obligée de les abandonner pour honorer un rendez-vous avec Habibullah, le directeur du département de français qui m'avait fait faux bond en début de semaine. J'arrive à l'université un peu avant l'heure indiquée, et notre entretien se déroule joliment pendant une demi-heure. Mais notre homme se dérobe progressivement... jusqu'à interrompre inopinément la conversation, pour aller faire sa prière. Je propose de l'attendre, mais il déclare remettre la suite à une autre fois...! Je suis perplexe... Cette réaction ressemble à celle qu'avait eue l'ambassadeur Haquani quand j'étais allée l'interviewer pour mon mémoire... celle aussi de Miraki, le pachtoun en colère qui avait bien voulu répondre à mes questions au cyber-café... comme si se manifestait dans l'esprit de l'homme afghan conscient de son statut et de son identité une sorte de gêne, de défiance, d'impossibilité à considérer une interlocutrice incisive et pertinente comme d'un niveau suffisant pour lui confier le fond de sa pensée. Cette arrogance m'accable. |
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Dimanche 3 juillet 2005 (12 saratan 1384), j'ai droit ce matin aux arcanes de l'administration afghane. Hier, au bureau central de l'Université - où il m'a été
recommandé de me faire connaître pour pouvoir circuler sans ennuis, c'est un certain Mokhtar qui m'avait dit de revenir au petit matin, afin de rencontrer
"the Vice-Chancellor". Je me sentais bien honorée de cet intérêt... mais bernique...! au grand désespoir de Mokhtar, le bureau de M. le VC est vide...
tout comme celui du "Chancellor" - M. Ashraf Ghani, ancien ministre des Finances, en personne - sur lequel mon mentor aurait bien voulu se rabattre. On se résoud alors
à me demander une photocopie de ma carte d'universitaire... photocopie obtenue au département de Français après avoir retraversé le campus dans toute sa longueur - un bon kilomètre dans les deux sens...
En passant j'ai soutiré à Habibullah l'assurance d'un nouveau rendez-vous pour terminer notre entretien précédemment écourté. |
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