Semaine 6, voir Herat et... |
Mardi 14 juin 2005. Hier soir, Palwasha a appelé pour dire qu'elle m'attendait mercredi, sans tergiversation possible. Bon, il faut donc que je me mette en quête d'un billet
pour Herat, et je me présente au bureau d'Ariana dès le matin, fortes des recommandations de mon amie : "If you have any problem getting a ticket, just call me !"
Au premier abord, la visite ressemble furieusement à celle que j'y avais faite il y a trois semaines, pour les mêmes raisons. "No, Madam, we don't have any seat available
for Wednesday, everything is booked untill Saturday... You can go and talk to the manager..." Le même, au fond du couloir... auquel je m'étonne de cette procédure.
Lui m'affirme alors qu'il y a bien des places, mais en business class... Comme je n'arrive pas à joindre Palwasha, et devant une différence de prix somme toute accessible,
je me décide pourtant pour le tarif 'business', et l'homme important me délivre un petit coupon de papier où il a griffonné quelques mots d'après mon passeport,
assortis de sa signature. Munie de ce supposé passe-droit, je me retrouve au guichet où l'on me délivre... un billet au tarif normal !
Les bleus repartis, je m'enhardis à demander à l'orateur s'il serait disponible pour une interview... Miraki - c'est son nom - est en fait un Afghan d'Amérique, habitant Chicago. Il est venu passer quelques jours à Kaboul pour faire confirmer ses droits de propriété sur des terrains dans la capitale (dont on sait que la valeur a centuplé ces deux ou trois dernières années). Son ire est en fait le résultat de ses démêlés avec l'administration : "Les talibans étaient des rustres, mais au moins à leur époque il n'y avait pas de corruption !" |
Mercredi 15 juin 2005, neuf heures, salle d'embarquement du vol Ariana Kaboul-Herat. Beaucoup de monde, surtout des hommes, mais aussi quelques familles,
un ou deux groupes d'expatriés, et moi, seule femme seule que tout le monde dévisage. Je dors quasiment sur mon fauteuil, car la nuit s'est passée à tenter d'obtenir
du bureau d'informations de la compagnie l'heure envisagée pour le vol - en fonction de l'arrivée réelle du précédent.
L'heure officielle ? six heures. Mais on m'avait dit "Peut-être huit, peut-être dix heures..." Toutes les heures j'ai appelé sans succès
jusqu'à cinq heures, où l'on m'annonce le vol pour dix heures.
Entre notre avion, qui attend à cent mètres, et la vitre vient se glisser un autre Airbus d'Ariana... la manoeuvre demande sûrement une longue pratique car le bout de l'empennage passe à moins d'un mètre du bâtiment. Assise à côté de moi dans l'avion, il y a une femme âgée en tchadri bleu, accompagnée par un homme qui doit être son fils. Au décollage, puis à l'atterrissage, elle psalmodie une bénédiction en levant les deux paumes vers le ciel en signe de soumission... Et pendant le voyage, elle suit avec intérêt les indications que j'arrive à arracher à la carte (celle que je promène toujours avec moi...) A la descente sur Herat, j'aperçois dans le désert une sorte de grand arc de triomphe à trois portes, posé sur la route comme un insecte fossile qu'on aurait excavé du sable mais oublié là. Il paraît que ce serait une des anciennes barrières de péage de la ville. La différence de température entre Kaboul et Herat est saisissante... Palwasha est là à m'attendre sous le soleil, couverte quasiment comme en hiver malgré la chaleur. Sur le tarmac nous rejoint l'officiel français de Herat, Jean-Claude Voisin, qui part justement avec l'avion dont je viens de descendre. Nous nous verrons plus longuement à une autre occasion, j'espère. Direction l'AIHRC (n.b. commission afghane indépendante des droits de l'Homme), où je rencontre toute l'équipe, et conduis une interview dans les règles de Palwasha. A propos, elle embrasse tout le monde ! |
Jeudi 16 juin 2005, journée studieuse et affairée : le matin, je mène deux interviews à la Commission, une plaignante, Sihani (dont je compte bien
suivre l'affaire au tribunal, dans deux jours), et une enquêtrice, Tahira (à revoir plus tard pour qu'elle me donne les résultats de la médiation qu'elle
mène actuellement entre deux communautés d'un village de la région).
Ce qui frappe à Herat, c'est la propreté et l'air sérieux de la ville. Des rues au carré, des arbres centenaires partout, des routes lisses, et... pas de chevaux, ni d'ânes, ni de chèvres, ni de moutons, ni de chameaux, ni de... rien ! Une sorte d'incongruité ! Et je prends conscience d'une autre particularité des villes afghanes, par rapport à ce que je connais du Pakistan : à Herat, comme à Kaboul, comme à Mazar, le bruit de la circulation est tolérable, non pas agressif comme à Lahore ou Karachi. Ce qui fait la différence, ce sont les moteurs des rickshaws, ces triporteurs à moteurs deux temps qui font taxis plus à l'est, et partent en pétard n'importe où, n'importe quand... |
Vendredi 17 juin 2005: je le sentais venir, c'est arrivé : j'ai dû rapporter de Kaboul (où les nouvelles annoncent vingt mille cas du même genre ainsi qu'une centaine de cas de choléra) la 'tourista' carabinée qui a gâché mon plaisir hier soir et m'a empêchée de dormir cette nuit. Ce matin, je demande à voir un médecin... Palwasha est consternée... mais le réseau se met en place : en fin de matinée, c'est un de ses oncles, installé à Herat depuis lontemps et "qui connaît tout le monde", qui nous conduit à l'appartement grand standing d'un des professeurs de la fac de Herat. Il a fait ses études au Turkménistan et exercé au Daghestan (la référence à l'ex-URSS est ce qu'on trouve de mieux ici en matière scientifique). Avec sa famille, il est de retour à Herat pour un an, et c'est sa fille de dix-huit ans qui me sert d'interprète. |
Samedi 18 juin 2005. Palwasha a quatre garçons de quinze à six ans. J'ai l'occasion de mieux les connaître aujourd'hui,
car Palwasha et Kabir travaillent alors que je reste à me reposer. Ici, l'école est soit du matin, soit de l'après-midi. Trois des enfants
sont du matin - et doivent se préparer pour sept heures, et un de l'après-midi. Donc ce matin, j'ai partagé avec lui les joies des programmes
de Tolo, la télé afghane que les mollas réprouvent.
En fin de journée, Palwasha rentre sans avoir pu prendre deux contacts importants. J'aurais voulu interviewer un molla 'progressiste', avec qui travaille la Commission, resté introuvable pendant le week-end. Et puis je devais rencontrer Soraya Pakzad, une heratie qui prépare un projet de refuge pour les femmes... mais elle était en déplacement sur le terrain. Tant pis, il faudra que je revienne à Herat... ne serait-ce que pour refaire les photos du Gauhar Chad qui ont été mangées par mon appareil (lequel refuse de restituer plus de 130 clichés, alors qu'il en contient 168 !). Je vous raconterai peut-être un jour l'histoire de la reine Gauhar... dont je porte le nom ici (parce que Gaït, prononcé à la française, a une signification sexuelle en persan ; Gauhar veut dire 'perle', comme Gaït). Pas de photos non plus du sanctuaire soufi posé au pied des collines ; on y circule au milieu des tombes de saints hommes, on y est inspiré de la psalmodie du Coran qui y est donnée en permanence, on y recherche la sérénité, on y trouve parfois la transfiguration vers l'amour... celui des hommes préfigurant l'amour divin. Sur le chemin qui mène au monument, d'ailleurs, j'avait remarqué un jeune couple qui en revenait en se tenant par la main, l'air joyeux et exalté... et la jeune fille avait gardé relevé son tchadri ! En contrepoint à ces parfums célestes, on trouve un tout nouveau monument à moins de cent mètres du sanctuaire. Il s'agit du tombeau pharaonique du fils d'Ismaïl Khan, tué l'année dernière au cours d'un combat entre factions... et dont le père a voulu garantir l'accès au paradis en le rapprochant du lieu saint... |
Dimanche 19 juin 2005, trois heures cinquante cinq, c'est le réveil pour attraper le vol du retour.
Je tire par le pied Palwasha, qui ne s'est par réveillée, alors que Kabir doit prendre le même avion pour un rendez-vous
professionnel à Kaboul. C'est la course dans Herat au petit jour...
De mémoire d'Afghan, jamais un avion d'Ariana n'était parti aussi à l'heure...! |
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