Des nouvelles de Kaboul, et d'ailleurs
Lundi 9 mai 2005 : embarquement demain matin pour Kaboul, via Zürich et Istanbul. Ici j'espère vous donner des nouvelles régulièrement ; chaque semaine, je ferai une pause cyber-café pour mettre à jour ces pages. Visites, rencontres, potins, petites et grandes merveilles seront pour vous en priorité. Rudimentaire, mais efficace...
Mardi 10 mai 2005 : escale à Istanbul. Vingt heures locales, dix-neuf heures chez vous. J'avance vers le soleil. Demain, j'arriverai à Kaboul quand vous dormirez encore, alors que tout le monde sera déjà réveillé là-bas... Je vais vers le sud, aussi... ce qui veut dire que les jours seront plus courts...
L'aéroport d'Istanbul est du genre moderne et désertique, c'est-à-dire conçu pour une expansion économique encore à venir.
On y atterrit après avoir survolé le Bosphore dans tous les sens, mais sur la rive européenne... histoire de garder encore un élan vers la suite du voyage. J'ai pris quelques photos criantes de l'absence de Sainte Sophie, hors d'atteinte de mon objectif.

Vue en largeur, entre deux rangées de comptoirs...
   Vue en largeur, entre deux rangées de comptoirs...

Je comprends qu'on puisse perdre ses bagages ici. Le voyageur en transit, après avoir été materné par une première compagnie aérienne (pour moi, SwissAir) qui s'est chargée de faire suivre ses effets en cas d'escale intermédiaire, se retrouve à errer quasiment sans indications pour dénicher le comptoir d'Ariana, évidemment après l'avoir dépassé plusieurs fois tant il est invisible au bout des cinq cents mètres de dallages marbrés entre les zones d'enregistrement. Pour peu qu'on n'ait pas réalisé d'avoir à récupérer ses biens pour les enregistrer de nouveau, ils auront disparu le temps de refaire à l'envers le trajet vers les tapis de livraison du premier vol...
Rassurez-vous, ce malheur ne m'est pas arrivé et je suis tranquillement en train de tapoter pour tuer les quelques heures avant le prochain embarquement, mes bagages sagement empilés sur un chariot auprès de la banquette design mais néanmoins confortable dont je vous écris.
P.S. à l'intention des Zoulous : le bouillon de brocolis, quand on a chaud et qu'on est fatigué, c'est top ! P.S. 2 : je vais tout de suite faire un test de up-load sur ma clé USB dans un cyber-café !
Mercredi 11 mai 2005 : évidemment, il n'y avait pas de port USB sur le seul ordinateur qui permet de se connecter à l'aéroport d'Istanbul. Enfin, j'espère que je vais trouver l'accès aujourd'hui... à Kaboul ! j'y suis !
Ca a commencé par un rayon de soleil qui faisait émerger de la nuit, glace pure et roc rose, les dentelles des montagnes au-dessus de l'ombre des sables du désert iranien, puis afghan. On distingue ensuite quelque ville quadrillée dans la poussière, Hérat probablement. Petit à petit, la terre s'est éclairée, déroulant ses remous ocres pastillés de verdures, et parfois même, oui, de miroirs d'eaux stagnantes encore après les fontes des neiges. On frôle quelques massifs plus élevés, calottés de neiges éternelles même sous ces latitudes. En un soupir on survole de haut le Hari Rod, le Pandjchir et la Kabul, puis l'on plonge dans une vrille destinée à atteindre, en frôlant les montagnes, l'aéroport enfermé dans sa cuvette.
Au toucher des roues on est presque surpris de se trouver sur un tarmac, au beau milieu du grand dépotoir qui tient lieu d'aéroport. Très vite le pilote dégage la piste, parce que notre appareil se trouve nez à nez avec un avion de transport militaire qui justement atterrit lui aussi... en sens inverse à l'autre bout.
Autres petits détails qui entretiennent la vigilance, pour le cas où l'on aurait pensé s'en exonérer : les bruits d'explosion qui ne dérangent personne ; les avions ou hélicos qui passent en rase-motte au-dessus de la ville ; le mur de sacs de sable sur le balcon de ma chambre... (je suis hébergée à la guest house d'AMI et ses expatriés sont soumis aux consignes générales de sécurité ici).

Vue de mon balcon
   Vue de mon balcon

Me voilà donc installée, à faire le point de tout ce qui est à faire. Comme par exemple (premier tracas) : j'ai acheté une nouvelle carte SIM, mais mon portable ne l'accepte pas, il est probablement verrouillé... Anyone's got an idea about how to fix this? Demain j'espère faire ma première sortie en ville, au-delà des échoppes locales où je suis allée quérir le pain et les fruits de mon déjeuner et contacter un magicien es-téléphonie.
Jeudi 12 mai 2005 : j'ai très bien dormi... et le temps est splendide : fraîcheur matinale dans un soleil radieux ! Au travail !
Huit heures trente, l'équipe d'AMI vient de partir de la guest house pour se rendre à leur bureau, où je les rejoindrai pour déjeuner ; j'en profiterai pour mettre à jour mon blog. Hier soir sont arrivés de Djallalabad (dans l'est du pays) les personnes évacuées en raison des manifestations violentes qui s'y déroulent. Le dîner a été l'occasion pour Frédéric, l'expatrié d'AMI qui est responsable logistique des opérations à 'Djalla', de raconter les événements, une façon de dédramatiser par l'humour et l'emphase, alors que chacun sent bien la fragilité de la situation.
Dix heures trente, un appel de sécurité vient de transmettre des consignes de prudence pour les déplacements à Kaboul : une manifestation d'étudiants est en cours, on ne sait pas comment ça peut évoluer...
Conséquence : l'équipe AMI va rentrer à la guest house, plus question pour moi de sortir, et donc de mise à jour :((   Je ronge mon frein en passant des coups de fil (de fil à la patte, en l'occurence, parce que le téléphone portable que la boutique m'a prêté pendant qu'elle débloque le mien ne tient pas la charge, et doit rester branché en permanence sur un chargeur !).
Le salon
   Le salon

Treize heures, nous avons fini de déjeuner (c'était délicieux, merci Djouma !) et chacun s'arrange au mieux pour ne pas trop perdre son temps.
Dix-sept heures trente : parce que tout semble calme et que je suis sortie accompagnée du mahram de rigueur (NB, vous pouvez toujours chercher dans un glossaire ad-hoc les mots en italiques ;) ; indice : le mahram en question, dans ce cas, c'était Qadir, un des tchowkidar du soir...), je viens de récupérer mon téléphone, opérationnel, sauf que je ne peux plus lui mettre de sécurité... J'en profite pour tester qu'il accepte bien les deux puces que je possède maintenant et... je reçois un message de ma boîte vocale en France qui m'annonce que mon livre est sorti ! Je vous l'annonce donc, cher(e)s tou(te)s, vous le verrez avant moi...
Vendredi 13 mai 2005, jour de repos ici ; grand calme sur la ville et temps radieux. Hier soir les expatriés de l'AMI ont fait une 'fête', une des ces soirées hebdomadaires de détente où les ONGs se reçoivent entre elles pour passer le temps. On s'assied autour d'une table à boire des cocktails ou des bières, et l'on raconte des histoires drôles. C'est à ces occasions que se forment les couples d'expatriés qui choquent les Afghans, parce qu'ils sont la preuve de la licence véhiculée, selon eux, par l'occident.
Aujourd'hui donc, en principe, pas de passage au bureau... mais Anne-Marie, l'admin en partance, a suggéré qu'elle pourrait s'y rendre quand même, si la situation le permet, et que je pourrais l'y accompagner... Tout à l'heure, j'ai regardé avec Mélanie, la chef du projet Logar (de loin, parce que les conditions de sécurité sur place interdisent de s'y rendre), les nouvelles européennes et françaises sur la télévision par satellite qui reçoit deux cents chaînes. Pour la première fois, j'ai vu la bobine de William Leymergie, que j'ai souvent entendu le week-end sur France Inter ! A propos, le décalage horaire entre Paris et Kaboul, en été, c'est deux heures et demie.
La guest house est composée de deux maisons encadrant un jardin, dans un des quartiers résidentiels de Kaboul. La maison sur la rue comprend en rez-de-chaussée les loges des tchowkidar, et à l'étage plusieurs chambres, dont la mienne. L'allée d'entrée est protégée par un haut portail en tôle blindé de barres de fer encastrées dans le sol.
Une fois qu'on a dépassé la première maison, on s'avance dans un jardin herbu planté de quelques arbres et animé de rosiers superbes. Des treilles de vignes y proposent une ombre juste parfaite pour se protéger du soleil à midi. Les pièces communes se trouvent au rez-de-chaussée de la maison du jardin : une salle à manger où Djouma, l'achpaz, apporte ses délicieux repas et deux grands salons tapissés et garnis de coussins pour regarder la télévision et se réunir au calme. A l'étage, d'autres chambres.

Le jardin de la guest house
   Le jardin de la guest house
Samedi 14 mai 2005, deuxième jour de repos des AMIs, qu'aucun contrordre n'est venu relever de leur consigne sur place. Je ne vous ai pas encore présenté Anne-Laure, l'admin qui vient d'arriver, ou Charlotte, la journaliste de la mission. En rajoutant le Dr. Cécile, chef du projet Samangan de passage à Kaboul pour une réunion, j'ai fait le tour des habitants réguliers de la maison, auxquels s'ajoutent des amis de passage occasionnel.
Outre Djouma, la résidence est entretenue par deux femmes, Leila et Maryam, qui s'occupent aussi du linge. C'est avec elles que je commence à parler un peu de dari. L'équipe des gardiens comprend Qadir et Haidar, pour la nuit ; il y a un seul gardien en journée. Mais plusieurs chauffeurs se relaient pour assurer les déplacement des équipes entre la maison et le bureau... où j'irai bientôt, j'espère.
Quinze heures, je n'en peux plus de rester sans bouger. En rupture avec les consignes locales de sécurité mais accompagnée d'un expatrié d'une autre ONG qui n'a pas reçu les mêmes, j'ai enfin l'occasion de faire un tour : le jardin des femmes... puis un saut à l'aéroport pour tenter - vainement - de récupérer ma malle...
...une traversée de la rivière Kabul presqu'en eau et du bazar... une visite au palais Darulaman... un passage au cybercafé... je pose mes repères sur le paysage et la ville me sourit : ce soir, elle m'a fait cadeau d'une étoile filante, qui s'est déposée dans mon coeur.

Construit pour abriter le parlement,
le darulaman fut en fait habité par le roi puis soumis aux bombardements. Il pourrait être rendu à sa destination première.
   Construit pour abriter le parlement, le darulaman fut en fait habité par le roi	puis soumis aux bombardements. Il pourrait être rendu à sa destination première.
Dimanche 15 mai 2005, ça bouge enfin, puisqu'aucune consigne n'est venue réitérer le blocage. Je pars donc avec les AMIs à leur bureau. Je peux consulter mes mails, une centaine en attente. J'essaie vainement de mettre ces pages en ligne : il semble que l'environnement technique ne permette pas les téléchargements. Grosse déception, il va falloir que je trouve une autre solution, probablement demander à PL de me configurer une vraie interface de blog, ou alors lui envoyer mes pages par e-mail pour qu'il les mette lui-même en ligne. Quel bazar !
L'après-midi, je récupère enfin ma malle, après avoir franchi avec succès les quinze étapes de la bureaucratie aéroportuaire.
Cette victoire est fêtée dignement dans un excellent restaurant libanais sous une tonnelle de magnifiques rosiers, qui préfigurent, selon mon accompagnateur, ceux qu'il implante actuellement au jardin des femmes. L'imagination est au pouvoir !
Au restaurant libanais
   Au restaurant libanais
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